Jon bailla. Il était dans un lit, pour un fois. Chez les Leinster, car il pleuvait depuis trois jours. Il faisait moche, peut-être moins froid mais en tout cas il ne faisait pas beau, et le beau temps n'était pas près de revenir avant au moins trois autres jours. Il semblait même qu'il y aurait un orage dans l'après-midi vu la tronche du ciel et des nuages. Le garçon s'étira et resta quelques minutes devant la fenêtre de la petite chambre que Dahey et sa femme lui avait donné, la tête dans le cul. Même très énergique, il garde le sommeil lourd et met une bonne heure à complètement se réveiller. Au loin, il pouvait voir les falaises, un endroit où il aimait beaucoup pêcher. C'était son père qui lui avait appris, c'est presque son coin de l'île préféré. Il avait envie d'y aller maintenant, de descendre de la maison par la fenêtre en utilisant le lierre attaché à la façade et de courir au bord de la falaise pour admirer l'océan. Il irait de toute façon, il n'allait pas passer encore une journée sans aller dehors.

Le jeune berger se leva, faisant craquer le parquet de la chambre. Il a la pièce sous les charpentes de la maison, les murs sont mansardés des deux côtés, la chambre est assez petite et n'a qu'une seule fenêtre. Mais cette fenêtre éclaire toute la pièce le matin, la lumière orangée du levé de soleil contraste trop bien avec le bois foncé de la charpente. Les murs sont blanc, mais les meubles sont colorés et sa couette deux places est en patchwork de tissus de toutes les couleurs. C'est lui qui l'a faite avec Abbie l'hiver dernier, il était très fier de lui.
Il fouilla dans son tas de fringues et en sortit un short noir, un t-shirt bleu-gris avec le ventre de totoro et un hoodie blanc à capuche qu'il enfila. Fier de sa tenue il se hissa sur la pointe des pieds pour atteindre le nid de Aoife entre deux poutres et la réveilla avec un grand sourire en lui caressant doucement les ailes.
« Debout ma grande, on va dehors aujourd'hui. »
La pie ouvrit les yeux et plongea son regard dans le sien avant de pousser un cri, comme pour le saluer. Il lui tandis sa main gauche et elle monta sur son épaule, encore endormie. Il passa son sac en bandoulière derrière son dos et enfila un bonnet jaune à pompon blanc avant de dévaler les escaliers. Abbie le salua et lui montra une brioche qu'elle avait faite le matin-même. Jon en coupa un morceau et le tartina rapidement de confiture de griotte, affamé. C'est fou ce qu'il peut manger ce gamin. Aoife se posa tranquillement sur la table pour picorer quelques miettes, prenant son temps. Jon était pressé de sortir, trois jours qu'il n'avait pas mis le nez dehors ! Prévoyant de rester toute la journée sur les falaises, il se préparait quelques sandwichs pour plus tard, les plaçant au fond de son sac. Il eut soudainement un flash et se tourna vers la rousse, un tache de confiture sur le nez.
« Abbie, c'est pour quand le bébé déjà ? »
Elle lui répondit, tout sourire.
« Cet été, en août. Comme toi ! Mais sûrement un peu plus tard, vers la mi-août. Pourquoi ? »
« J'ai hâte qu'il soit déjà grand ! Je pourrais lui apprendre plein de trucs et lui montrer toute l'île! »
« Je suis contente que tu sois si impatient, il aura comme un grand frère finalement. »
« Oui … Maman allait aussi avoir un bébé avant l'accident, normalement j'aurai du avoir un petit frère, alors c'est pour ça que je suis content ! »
Tout en enfilant ses bottes en caoutchouc orange, il lança à la jeune femme.
« Je vais dehors aujourd'hui ! Vers la falaise, je pêcherai peut-être, à ce soir ! »
Sans attendre de réponse il fonça dehors, empoigna sa canne à pêche à côté de la porte et se mit à courir vers les falaises aussi vite qu'il le pouvait, face au vent et à la pluie. Il fut rapidement trempé mais il n'en avait rien à foutre, il se sentait bien, libre et heureux. Il savait qu'il ne pourrait pas vivre ailleurs que sur cette île. Elle était si précieuse pour lui. Les gens, la culture, les dragons, les forêts, les plaines, l'océan. Il aimait absolument tout de ce petit endroit et ne penserait jamais le quitter.
Enfin arrivé, Jon s'assit au bord de la falaise, les pieds dans le vide. Il n'avait pas peur, au contraire, il faisait toujours ça pour pêcher, et avait passé de longues après-midi au soleil avec son père et Moen. Aoife ne semblait pas très heureuse, à cause de la pluie sans doute. Elle s'était réfugiée dans la capuche du sweat-shirt de Jon, bien au sec. Le jeune berger ne comprenait pas trop, il ne faisait pas froid pourtant. Et c'est vrai, il devait faire 15°C environ, malgré la pluie. La chaleur revenait, avec les fleurs, les senteurs du printemps et les animaux.
Jon s'allongea sur le dos, les jambes toujours dans le vide, en prenant soin de ne pas écraser son amie. Il regardait derrière lui, la tête à l'envers et aperçu un petit troupeau de cerfs au milieu de la plaine, se dirigeant rapidement vers la forêt pour se mettre à l'abri. La pluie se calma un peu, mais les nuages ne bougèrent pas d'un pouce, le soleil restait invisible, le ciel bleu-gris et l'océan plein de vagues et d'écume. Un orage viendrait sûrement ce soir ou pendant la nuit, lorsque Jon serrait bien installé dans son lit moelleux. Il décida de rester un moment comme ça, allongé dans l'herbe au bord du vide, se faisant arroser par le ciel, attendant sans doute inconsciemment que quelque chose se passe.