Il faisait nuit, et la pluie tambourinait le sol déjà trempé de la forêt. Mais bien plus fort que le bruit de l'orage, on entendait les cris stridents d'un nouveau-né. Oh non, pas un humain, ce serait trop bizarre de trouver un gosse dans la forêt en pleine nuit, mais bel et bien un petit dragon. Encore à moitié dans sa coquille, il était visqueux et avait les paupières collées. Son œuf blanc n'émettait plus d'électricité depuis son ouverture, les petites étincelles avaient servi a fissurer la coquille très solide pour aider le dragonnet. En pleine crise de panique, la petite créature se démenait pour s'extirper de son enveloppe. Un coup de tonnerre retentit, plus fort que tout, l'orage devait se trouver au dessus de la forêt. Le petite chose se figea, et ouvrit instantanément les yeux. L'orage le berçait, le calmait, lui demandait de faire preuve de courage et de force pour venir au monde. Il se recroquevilla, banda ses muscles, et d'un mouvement puissant, brisa le reste de la coquille qui le retenait prisonnier. Désormais sur ses quatre pattes, le dragonnet découvrait son corps. Encore petit, mais il s'en fichait, il adorait les écailles de ses ailes. Il leva un petit peu la tête en fermant les yeux et en inspirant longuement. La pluie battait à son visage, et l'air embaumait l'odeur de la pluie et de la forêt. Laissant les éclats de son œuf sans même les enterrer, il se mit à marcher sur ses petites pattes encore faibles, mais qui le soutenait tout de même. Il lui tardait de savoir quel était son rôle dans cette nouvelle vie, et d'apprendre à se servir de ses ailes. Il prit de l'assurance et commença à courir de plus en plus rapidement entre les arbres, sachant d'instinct qu'il devait se placer en hauteur pour connaître son destin. Il se retrouva devant un immense rocher qui dominait la forêt et dont il ne voyait même pas l'extrémité qui semblait se trouver au dessus de la cime des arbres. Au bout de quelques efforts supplémentaires, il fini par arriver au sommet du rocher. Il leva la tête et rouvrit les yeux. Le spectacle qui s'offrit alors à lui le figea sur place. Des éclairs de couleurs violettes traversaient les nuages à une vitesse hallucinante, presque impossible à suivre du regard. Le dragonnet s'émerveillait devant ce magnifique spectacle. La foudre l'appelait, l’enivrait. Eldingar. Tel serait son nom. Il l'avait choisi seul, car visiblement sa mère n'était pas là, sinon il n'aurait pas du souffrir autant pour sortir de sa coquille. Dans la langue qu'il connaît naturellement, Eldingar signifie foudre. Oui, ce serait son nom. Le nouveau-né déploya alors ses ailes lentement, et se dressa le plus possible sur la pointe de ses pattes arrières, attendant l'appel des éclairs. Soudain, un éclair blanc jailli d'un énorme nuage situé devant la lune et frappa de plein fouet le jeune reptile. Ce dernier poussa un immense cri de joie et donna une impulsion puissante de ses ailes. Il volait dès les premières heures de sa vie. Ses premiers battements d'ailes étaient maladroits, trop rapides et pas assez coordonnés, mais la pluie ruisselant sur son dos et le long de sa queue semblait lui expliquer comment faire. Il survolait une immense forêt, située au nord d'une grande île. Il ne voyait pas d'autres dragons autour de lui, mais continua de voler à son aise, en plongeant dans les nuages, en frôlant la surface de l'eau, et en allant aussi vite que le vent. Aujourd'hui était certainement le plus beau jour de sa vie. Il était né libre, et le resterai aussi longtemps qu'il le pourrait, sa liberté serait sa vie.

Deux ans. Voilà deux petites années qu'Eldingar était né, sous l'orage et la foudre. Il n'avait pas rencontré d'humains, bien qu'il connaissait leur existence, et avait seulement vu de rares dragons, puisqu'il ne se déplaçait principalement que de nuit, surtout lors des tempêtes.

Le dragonnet volait rapidement, avec agilité, dans la pluie, dans le vent, entre les nuages. La foudre qui lui parcourait le corps faisait palpiter son petit cœur fragile, mais pourtant si fort. Chaque battement d'ailes était plus puissant, chaque cri poussé par le reptile était plus expressif de la sensation de liberté qu'il éprouvait, de son bonheur, sa joie. La pluie coulait sur tout son corps écailleux, ruisselante et légère, tout en restant agitée et indomptable. Il s'amusait comme un dingue, et en profitait pour recharger son pouvoir électrique, lui qui avait tout utilisé pour chasser. Comment a-t-il fait pour en arriver là ? Comment se fait-il qu'il ait pu perdre l'équilibre parfait? Tant de questions auxquelles je ne peux répondre par qu'une chose. Qu'un seul fait unique, fixé, dont les conséquences sont encore visibles et douloureuses aujourd'hui. Un éclair de foudre d'une très grand puissance a frappé Eldingar en plein vol. Il montait en flèche dans le ciel, la foudre a traversé son corps du bout de son museau jusqu'à la pointe de sa queue. Et soudain, le choc. Son corps ? Paralysé. Résultat, un petit point bleu foncé, presque noir, une minuscule petite tache, qui tombe vers le sol de l'île, au dessus de la forêt de Jade. À toute vitesse, la tache tombe entre les arbres, un second éclair frappe presque au même endroit et touche un immense pin, qui se met à brûler et tombe, raide. Le feu s’éteint très rapidement, mais le tronc, lui, ne stoppe pas sa chute. Le petit dragon non plus. La capacité de bouger lui revient, mais il n'a pas le temps de s'en rendre compte. Il tombe avec violence sur le sol de la forêt, à quelques centimètres d'un rocher, dont la pointe lui aurait été fatale. Le souffle coupé, il s’évanouit.
/!\ sang / douleur / plaie /!\

Spoiler:

Le dragon était faible, il boitait douloureusement dans la forêt, à la recherche d'un abris, ou de n'importe quelle source de nourriture. Il s'était éveillé quelques heures auparavant, sa patte arrière gauche ne répondant plus à rien. En attendant quelques minutes, et au prix de longs étirement douloureux, il parvint à la bouger, les nerfs n'étaient pas aussi abîmés qu'il le croyait. Selon ses estimations, il avait été inconscient pendant deux jours minimum. Il se pensait heureux d'être encore vivant, bien qu'au bord de la mort. Il avait vu sa courte vie passer devant ses yeux ce soir-là, en pleine chute du haut du ciel. Mais ce matin en se réveillant, la détermination le fit se lever. Déterminé à survivre, non, à vivre. Se nourrir, se cacher, guérir. Il pouvait y arriver tout seul, et si il trouvait de l'aide auprès de n'importe qui, tant mieux, mais seul il pourrait faire comme il avait toujours fait depuis deux ans qu'il était né.
À la fin de la journée il fut extrêmement chanceux de croiser un chamois blessé aux deux pattes avant, et malgré son handicap, il pu l'achever et l'avaler tout entier. Juste après il décela une cavité dans une paroi rocheuse et s'y réfugia, s'allongea, et sombra aussitôt dans un sommeil sans rêves.
Le matin, il devait être six heures à l'odeur. Eldingar n'avait pas encore ouvert les yeux. Il préférait humer l'air avant d’ouvrir les paupières, toujours. Mais il ne sentit pas que les effluves de la forêt, mais quelque chose d'autre. Quelque chose, de très familier. Presque fraternel. Il entrouvrit les yeux avec prudence et fut un peu surpris de voir un autre dragon. Pas tout à fait, une dragonne. Elle était presque entièrement recouverte d'écailles blanches, sauf ses ailes qui étaient ornées ça et là de quelques plumes, de la même couleur laiteuse. Elle était de dos et semblait monter la garde. Pourquoi ? Savait-elle qu'Eldingar se trouvait derrière elle ? Ce dernier ne voulait pas attendre plus longtemps, et se leva tant bien que mal, avant de claudiquer lentement vers l'inconnue. Elle tourna la tête vers lui et semblait rayonner, le soleil se réfléchissant sur sa peau de neige, reflétant ses yeux rouges. Elle devait être albinos, ou quelques chose comme ça, c'est ce que pensait le dragonnet noir. Elle lui lança d'une voix enjouée
« Ya-hey ! Tu es enfin réveillé ? Je ne voulais pas te déranger alors je t'attendais. Moi c'est Lia, et toi ? »
Eldingar déglutit et prit le temps de s'asseoir, non sans mal, avant de lui répondre.
« Salut, moi c'est Eldingar. »
Il ne continua pas plus longtemps, parler lui arrachait une grimace de douleur. De l'eau. Il se tourna sans rien ajouter et chercha du regard une flaque. Non, il ne voyait toujours pas très bien, même si il distinguait ce qui était proche. Il se hissa sur ses pattes arrières et retomba au sol en grondant. Malgré la douleur qui lui tiraillait la jambe, il pouvait oublier de ne pas s'appuyer dessus, bravo. Il se rassit mais étira le plus possible son cou avant de repérer enfin une petite marre à quelques mètres. Sans se soucier de quoique ce soit, il se dirigea doucement vers l'eau et bu jusqu'à satisfaction. Une étrange sensation parcourait son corps, il avait chaud à la tête et à la poitrine. Sans réfléchir plus longtemps, il se laissa glisser dans la marre et s'immergea totalement, la chaleur se dissipa sous l'eau, mais réapparut lorsqu'il sortit et croisa le regard de Lia. Il ne comprenait pas vraiment mais bon, il préféra se laisser tomber dans l'herbe.
« Je peux te demander comment tu t'es presque arraché la jambe dis ? »
Sa voix n'était même pas emplie de curiosité. Lia. Elle lui inspirait confiance. Il décida de tout lui raconter, enfin, de toute ce dont il se souvenait.
« Ca n'a peut-être aucun rapport, mais de quelle race es-tu toi ? »
La question était sortie toute seule, Eldingar lui parlait depuis une petite heure, allongé sur une tache de trèfles à côté d'elle, mais il n'avait plus tellement envie de parler de lui, de son accident récent ni de quoique ce soit le concernant. Lia lui lança un petit sourire narquois, se leva et gonfla la poitrine.
« Je contrôle l'eau avec le vent, elle émit alors un petit sifflement doux mais Eldingar n'en comprit pas la signification, ça c'est la langue que je parle et tu ne pourras jamais faire pareil, héhé. Dans la langue des bipèdes de l'île, je suis une Rialtoir Froda, pas très beau hein ? Et d'après ce que j'ai compris sur ton pouvoir, toi tu dois être un Reatha Drekinn. »
« C'est … marrant. Tu me montreras ton pouvoir une fois ? »
Lia hocha la tête et il lui lança un regard amical avant de fermer les yeux un instant, un doux vent de printemps soufflait, rendant l'atmosphère agréable. Sans la connaître depuis plus d'une journée, le petit dragon noir appréciait déjà beaucoup sa nouvelle amie. Il posa sa tête sur ses pattes avant et profita du soleil réchauffant son flanc, la jeune dragonne allongée contre lui. Il s'endormit, épuisé pas si peu d'efforts, mais il avait grand besoin de repos.

Lia est restée avec Eldingar. Elle aussi était née seule et sans l'aide de personne. Elle était pourtant moins autonome que son ami, qui lui avait tout de suite compris ce qu'il devait faire, question d'instinct. Les deux compères s'entraidaient, Lia chassa pour deux jusqu'à ce qu'Eldingar puisse à nouveau se nourrir lui-même. Une année passa, puis une autre, puis une dizaine. Les deux enfants savaient tout l'un de l'autre et jouaient ensemble toute la journée et par tous les temps. Ils avaient tous les deux grandi et gagné en forces ainsi qu'en connaissances. La dragon noir savait au fond de lui depuis un moment qu'il éprouvait une sorte d'amour envers sa compagne, mais n'avait jamais vraiment pensé à lui dire ou le sous-entendre, il s'estimait très heureux ainsi et ne voulait rien y changer. Néanmoins il ne savait ce qu'il ferrait si un jour Lia venait à disparaître. Il y tenait comme à la prunelle de ses yeux et ne voulait pour rien au monde la perdre. Il la protégeait et le ferrait tant qu'il aurait assez de forces pour continuer.

Une superbe après-midi d'hiver, les deux garnements décidèrent de jouer dans la neige. L'épaisse couche de neige qui recouvrait les flancs de la montagne, la neige fraîche, la neige qui glisse bien. C'est un jeu assez dangereux, faire des glissades dans la poudreuse, une seule plaque d'air et l'avalanche peut se déclencher, entraînant toute la neige de la montagne. Confiants, quelque peu insouciants, ils allèrent quand même, faisant la course dans la neige toute l'après-midi et se baignant dans les petits nuages éparpillés dans le ciel. Épuisés, il redescendirent la montagne par le côté opposé, pour une dernière grande glissage avant d'aller se reposer pendant une journée entière.
Glissant à grande vitesse dans la poudreuse, les deux dragons ne se rendirent pas compte qu'ils passèrent sur un coussin d'air, le sol déjà instable s'écroula et se mit à rouler, formant très rapidement un très grande vague qu'il fallait absolument éviter. Eldingar y parvint à la dernière minute en poussant de toute ses forces sur ses pattes arrières, ailes déployées. Il s'éleva de quelques mètres cherchant Lia du regard autour de lui, mais elle n'était pas dans les cieux. Affolé, il baissa la tête pour la chercher dans la neige. Mais il ne la trouvait pas, ses écailles blanches étaient toujours difficiles à trouver parmi les flocons. Les battements de son cœur s'accélérèrent, il perdit de l'altitude et l'aperçu du coin de l’œil, elle courrait comme une folle pour échapper à l'avalanche qui devenait de plus en plus grande. Il lui cria de s'envoler, mais elle ne sembla pas l'entendre. Lui qui était déjà un peu plus grand qu'elle, pensa un instant descendre en piquet pour l'attraper en vol, mais il ne pourrait jamais le faire assez vite, le temps de tendre la patte et la neige l'aurait déjà englouti. Il se contenta de l'encourager de toutes ses forces, se sentant terriblement inutile. Son pouvoir ne pouvait servir à rien dans cette situation, il ne pouvait rien faire, rester impuissant était une horrible sensation. De plus la chute de neige gagnait du terrain, Lia s'épuisait, elle n'allait pas pouvoir tenir plus longtemps. Comme pour confirmer ses plus sombres pensées, la dragonne albinos trébucha et en un seul instant se fit ensevelir par des tonnes de neige. Complètement paniqué Eldingar regarda droit devant lui, l'avalanche se dirigeait vers la vallée, parsemées de pins et de roches, elle ne survivrait pas, son corps était bien trop fragile. Dans le cœur de l'avalanche, elle devait être secouée comme un sac, incapable de faire quoique ce soit, peut-être était-elle déjà morte à l'instant même où la neige l'avait heurté de plein fouet. Son ami attendit longuement que la neige se fige, encore sous le choc. Il devait la retrouver, à tout prix. Il ne pourrait pas continuer de vivre sans elle. Il avait toujours espoir, peut-être avait-elle eu le temps de s'entourer d'une couche d'air, la protégeant ainsi des coups les plus violents, ou de il-ne-savait-trop-quoi. Tout ce qu'il voulait c'était la retrouver, et la sauver.
La nuit tomba rapidement, il augmenta le taux de volt passant dans son corps pour éclairer autour de lui et se réchauffer. Le neige sur laquelle il marchait fondait à chacun de ses pas rapides et confus. Il cherchait n'importe quoi, un signe de vie, une patte ou un morceau d'aile qui dépassait, il était prêt à creuser jusqu'au bout de la nuit pour la retrouver. Il criait occasionnellement son nom, dans l'espoir qu'elle l'entende. À part ses quelques cris réguliers, un silence de mort régnait. Pas une brise, pas un battement d'aile, comme si la nature retenait son souffle.
Toujours pas terminé, ça doit bien faire 6 mois que je suis sur cette histoire ... Mais je sais où je vais au moins !